L’échange d’expérience

Introduction à l’échange d’expérience

Habitat et Participation a pour finalité, depuis sa création en 1982, de promouvoir l’échange d’expériences en matière de pratiques participatives en lien avec l’habitat. Depuis 1992, l’association est devenue membre du réseau international (multilingue et multithématique) d’échange d’expériences DPH (Dialogue et Documents pour le Progrès de l’Homme).

I. Difficultés et intérêts de l’échange d’expérience

« Il y a dans l’expérience un capital qui se renouvelle et un autre qui s’accumule. L’important n’est pas seulement dans les informations et les savoirs qui ont vocation de durer, il est aussi dans les leçons utiles pour quelques mois ou quelques années, mais qui seront bientôt dépassées par l’expérience elle-même. »

(Pierre de Zutter – consultant français au Pérou – fiche DPH)

Habitat et Participation adhère activement depuis plus de 10 ans à un réseau mondial d’échange d’expériences – DPH – qui tente de promouvoir la diffusion des expériences via un site internet ainsi que des outils et méthodes nécessaires pour soutenir cet échange. C’est sur la base de cet acquis que notre association s’est lancée depuis plusieurs années.

Promouvoir l’échange d’expériences, c’est permettre le soutien des pratiques elles-mêmes, mais aussi le soutien aux acteurs de ces pratiques, aux outils et méthodes liés à ces pratiques, aux compétences nécessaires pour l’exercice de ces pratiques, aux savoirs, savoirs-faire et savoirs-être issus de ces pratiques, etc.

Lorsque l’on parle d’échange (de pratiques), cela suscite intérêt et scepticisme. Intérêt pour connaître ce qui se fait ailleurs, pour rencontrer des gens qui travaillent dans les domaines connexes, pour obtenir de l’action des données qui serviront à une autre action. Mais aussi scepticisme quant à la véritable possibilité d’utiliser l’expérience de l’autre dans sa propre pratique quotidienne dont les contextes sont différents, scepticisme parce qu’une approche plus

A Habitat et Participation, après des années d’expériences par le biais du réseau DPH, mais aussi d’expériences en Région wallonne, nous reconnaissons qu’il est ardu d’acquérir de véritables connaissances utiles à l’action, de véritables nouvelles compétences via l’échange de pratiques. Contrairement à ce que l’on a pensé autrefois, le  » simple  » recueil de  » bonnes pratiques « , la  » simple  » visite d’autres expériences ne sont pas suffisants. Il faut également créer un processus d’auto-apprentissage collectif et permanent, d’auto-formation des individus inscrits dans cette démarche. Ce processus n’est pas le fruit d’une méthodologie totalement définie car il est évident que chaque individu, chaque groupe a ses chemins propres pour arriver à tirer de l’expérience de l’autre quelque chose qui pourra lui servir concrètement.

II. De l’expérience plutôt que de l’information ou un savoir

« C’est quand une politique réussit qu’il faut la changer puisqu’elle a transformé les conditions qui lui ont donné naissance. »

(E. Pisani in Meccano de la Gouvernance)

Si l’échange d’expériences ou plus simplement l’expérience est aujourd’hui l’objet d’une grande valorisation, c’est sans doute en partie à cause des manques générés par des apprentissages basés sur de l’information ou des savoirs de type ex-cathedra qui n’évolueraient pas en même temps que la société où ils sont nés.

En effet, si l’information est au coeur de notre monde moderne (en lien avec toutes les technologies nouvelles), force est de constater que, dans la pratique quotidienne, il est quasiment impossible de gérer la masse d’informations qui nous est  » déversée « . On ne peut traiter que l’urgence dans une société de surinformation (et de désinformation qui en découle).

Les savoirs n’ont plus toujours la cote et les débats de société générés par les problèmes de l’enseignement marquent une remise en cause non seulement des savoirs existants, mais surtout des méthodes pour les acquérir. Avec un minimum de sens critique, on se  » heurte  » au moins à deux problèmes : la question de la non-neutralité des savoirs (et c’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de la narration d’expériences dans un contexte institutionnel) et celle du caractère partiel, morcelé, des savoirs reçus dans un ensemble de connaissances infiniment plus complexes et mouvant.

Bref, on pourrait dire que, si le terme d’échange (de savoirs – d’expériences) a sans doute gagné des gallons ces dernières années, c’est sûrement en partie pour faire face à ces questions.

L’expérience est plus rare que l’information (elle est unique) ; elle se proclame éminemment subjective et partielle en remettant le « sujet qui se raconte  » au centre du savoir ; elle développe un caractère émotionnel « qui touche  » celui qui l’entend. Elle n’est ni totalement théorique ni totalement pratique puisqu’il s’agit de raconter une pratique, donc déjà de lui imposer une forme réfléchie, théorisée, qu’il est même possible de synthétiser ou de modéliser. Elle en constante évolution.

La grande question reste alors de savoir s’il est possible d’apprendre quelque chose de l’expérience d’autrui qui est, comme nous l’avons dit, unique, subjective, partielle, à mi-chemin entre théorie et pratique ?

Le paragraphe suivant montre que nous considérons la chose possible…

III. Les objectifs de l’échange d’expériences.

Se poser la question de l’objectif ou de la finalité de l’échange renvoie le plus souvent à décomposer ceci en trois parties :

  • Les finalités de l’échange (voir points III.1 et III.2) ;
  • La définition des objectifs spécifiques à définir avec le groupe qui veut échanger (voir point IV.1) ;
  • La question du niveau de l’échange – de qui à qui ?

Les niveaux de l’échange

Lors d’une journée sur la diffusion collective des pratiques , nous avions cadré l’objectif général : soutenir l’innovation sociale via des modalités de diffusion à définir. Cet objectif général devait ensuite être décliné en objectifs spécifiques. Pour ce faire, la question a clairement été posée aux participants réunis en trois groupes qui correspondent aux trois niveaux de l’échange ou aux trois types de bénéficiaires de l’échange :

  1. Des objectifs pour la collectivité (la société) ;
  2. Des objectifs pour les acteurs des expériences entre eux ;
  3. Des objectifs pour les associations elles-mêmes ;

Il faudra avoir constamment en tête que ces niveaux et donc ces objectifs sont différents et qu’il n’est pas possible de développer des modalités d’échange d’expériences si l’on a pas défini au préalable le/les niveau(x) d’échange recherché(s).

III.1 : Découvrir des constantes structurelles au delà des particularisme

Si nous croyons que l’échange d’expériences est possible, c’est parce que nous pensons que l’on peut découvrir des principes communs par delà les différences. Notre expérience nous a montré combien il est frustrant pour les participants de prendre part à des échanges qui, bien que fort intéressants, ne peuvent permettre d’accéder à une compréhension de l’expérience de l’autre à un autre niveau que celui du contexte initial. Si un travail de systématisation, de structuration, de modélisation n’est pas effectué, ces échanges deviennent très rapidement des moments de valorisation personnelle sans aucun effet de transférabilité.

Monsieur Pierre Calame, Président de la Fondation Charles Léopold Meyer pour le Progrès de l’Homme à Paris, a été à l’initiative d’un réseau international (multilingue et multithématique) d’échange d’expériences – DPH. En 1994, il exprimait déjà cet objectif d’échange, à savoir la découverte de constantes structurelles :

« La première étape est de reconnaître le caractère systémique des situations auxquelles on est confronté dans l’action. Ces systèmes, du fait de leur complexité, ne peuvent être décrits intégralement. Non seulement parce que les moyens techniques, et bien entendu financiers, de cette description manqueraient, mais aussi parce que l’on ne connaît le système qu’à travers ses réactions à des situations concrètes. Ce ne sont pas des systèmes sur lesquels on peut multiplier les tests à loisir, comme on le ferait dans une situation expérimentale en laboratoire. Le système est un système réel qui ne se prête.

Chaque système est unique, mais en même temps, on a la conscience diffuse que toutes les sociétés humaines ont des points communs. (…) L’échange d’expériences permet donc de procéder de manière inductive à la découverte de ces constantes structurelles.

La découverte de ces constantes ne vont pas de soi au simple exposé d’une expérience et c’est ici qu’intervient la nécessité d’une méthode ou de méthodes de travail.

III.2 : Réaliser collectivement des outils d’auto-évaluation des pratiques

Ce second objectif nous est apparu avec certains groupes qui pratiquaient l’échange d’expériences. Bien souvent les pratiques, les expériences auxquelles nous avons été confrontés ont un caractère innovant, pilote et fonctionnent donc dans un vide relatif en termes de directives, de canevas précis, de cadre juridique défini. Bref, les acteurs de ces expériences se trouvent bien souvent en un état d’absence de repères par rapport à leur travail, voire avec des évaluations externes de leur travail réalisées en dehors de leur possibilité d’y prendre part.

L’échange d’expériences peut alors leur servir de méthode de travail pour arriver à définir collectivement des indicateur d’auto-évaluation où l’idéal est de pouvoir associer les  » bénéficiaires  » de ces pratiques puisque finalement l’expérience est réalisée pour et avec eux. De nombreux acteurs impliqués dans ces actions sentent clairement le besoin de repères, de valorisation d’une série de tâches qu’ils réalisent en dehors de toute obligation, souvent  » à l’intuition « . Ils souhaitent souvent avoir également l’opportunité de pouvoir, via l’auto-évaluation, mieux définir (ou redéfinir) leurs rôles et missions.

IV. La capitalisation d’expériences: des méthodes et des conditions.

Nous ne ferons pas le tour de tout ce qui existe en la matière et pensons que chaque groupe doit aussi aider à la définition des outils et méthodes qui lui conviennent le mieux. Nous baliserons seulement les quelques étapes nécessaires pour une capitalisation réussie :

IV.1. Définir l’objectif spécifique des échanges collectivement

Un objectif concret, tangible, utile doit être défini au départ avec le groupe.

Tant qu’on ne sait pas  » POURQUOI  » on échange, il n’y a aucune raison d’accepter d’échanger ses savoirs, réflexions, trucs, ficelles, etc. L’échange passe toujours par une phase de  » défouloir  » collectif qui exprime toutes les difficultés vécues sur le terrain (catharsis).

Il faut pouvoir ensuite proposer au groupe des objectifs spécifiques pour passer de cette phase catharsique à une phase plus constructive. Il faudra être attentif à ne pas confondre objectifs individuels ( » pour améliorer ma pratique « ) et objectif collectif. C’est l’objectif collectif qui permet au groupe d’avancer.

Au sein du réseau international d’échange d’expériences DPH , une recherche sur l’usage cet échange a permis de définir les  » usages  » ou  » objectifs  » suivants :

  1. Recueillir et structurer l’information ;
  2. Prendre du recul, de la distance ;
  3. Analyser, tirer des leçons, des apprentissages ;
  4. Elaborer des stratégies ;
  5. Favoriser l’expression personnelle ;
  6. Rompre l’isolement ;
  7. Favoriser la communication, le dialogue et les échanges ;
  8. Démocratiser l’information ;
  9. Susciter la mobilisation et renforcer la participation ;
  10. Favoriser le jeux des acteurs ;
  11. Renforcer le niveau local et accroître la crédibilité (du local vers le global) ;
  12. Participer au niveau global depuis le local ;
  13. Influencer les politiques publiques et l’évolution des sociétés.

IV.2. Quelques principes à suivre pour « se raconter »

Nous partons de l’idée qu’il n’existe pas une définition de  » la bonne pratique  » ou de  » la bonne expérience « , modèles uniques à suivre quel que soit le contexte. Toute expérience, bien ou mal vécue, pour peu que celui qui la raconte le fasse avec honnêteté (pas de  » carnet rose « ), est utile d’abord à celui qui la raconte (processus d’auto-formation), ensuite à d’autres personnes sur d’autres terrains pour alimenter leurs pratiques (apprentissages mutuels).

Pour ce faire, on peut utiliser diverses techniques (auto-évaluation, grille d’analyse, expression subjective, réunions-débats, visites de terrain, etc.). Dans tous les cas, ce qui est au centre de la narration de l’expérience, c’est d’abord le sujet qui se raconte en explicitant le chemin qu’il a suivi pour mener son projet (le pourquoi et le comment), ainsi que son analyse des résultats quantitatifs et qualitatifs obtenus. Le projet  » en soi  » est dès lors quelque peu relégué à une place secondaire pour faire place au projet  » pour soi « .

Il est très important que les acteurs de l’échange puissent avoir leur mot à dire sur les modalités de l’échange ( » comment l’échange va-t-il se dérouler ? « ) et que ces modalités soient (re)négociables au fil du temps en fonction des souhaits du groupe.

Quelques principes à adopter lors d’échanges d’expériences :

  • Parler en son nom propre, préférer le « je » à toute formulation impersonnelle qui désimpliquerait le sujet. Marquer la subjectivité qui existe entre soi et l’expérience. Utiliser un langage qui se démarque de celui des rapports à rendre aux bailleurs de fonds (neutres, impersonnels, style listing,…) ;
  • Parler des relations entre les acteurs d’un même projet (il existe le plus souvent des alliés et des opposants qui ont joué un rôle important ou mineur dans la réussite ou les difficultés rencontrées). * Utiliser des outils visuels qui montrent qu’une expérience se déroule dans un cadre temporel, historique, géographique, etc. Il est important de voir s’il en existe des traces, une mémoire, même si le souvenir a modifié en partie le contenu de l’expérience.
  • Insister sur le trajet parcouru, les raisons qui ont guidé certains choix à certains moments.
  • Partir de l’idée du « si c’était à refaire…, je… » ;
  • Impliquer les « bénéficiaires », mais sans en faire des alibis ou des « potiches » qui assistent aux débats (d’où la nécessité de créer des outils d’expression adaptés).
  • Etc.

IV.3. Conditions nécessaires pour échanger

Pour que les échanges d’expériences se réalisent dans un cadre le plus serein possible, il est important de se sentir dans un « climat de sécurité », tant à l’intérieur du groupe (« on va me piquer mon idée » ou « on va me juger ») que vis-à-vis de l’extérieur du groupe (« et si tel responsable était mis au courant de tel aspect négatif de mon expérience ? »). Il est donc bien évident que ce qui se dit lors de journées d’échange d’expériences appartient au groupe et ne peut se retourner contre celui qui a eu le courage de « se raconter ». Il faut sans cesse rappeler cette consigne parce qu’en pratique, des dérapages sont toujours possibles. Lors d’une de nos interventions, un dérapage s’étant produit, quelques personnes du groupe se sont portées volontaires pour tenter de « réparer » le dommage causé.

Lorsque l’on parle « échange », vient à l’esprit la notion de troc, de réciprocité et celle des réseaux d’échange de savoirs. En effet, un échange d’expériences ne peut se faire sans une interaction de ceux qui y participent. Il faut que chacun y trouve un intérêt, un bénéfice.

Par exemple, si l’échange se réalise lors d’une visite, il faut que celui qui reçoit les autres y trouve un avantage (il en profite pour faire venir une personnalité du quartier ou pour inviter des habitants qui ne perçoivent pas bien l’enjeu du projet). Si l’échange se réalise lors de débats avec des personnes ressources, il faut songer à l’intérêt que celles-ci peuvent avoir à venir apporter leurs savoirs-faire. La question de la motivation de chaque acteur à échanger est capitale pour éviter que l’échange ne débouche sur aucune action, sur l’impression habituelle de « s’être fait pompé ».

D’autres conditions propres au groupe peuvent s’ajouter à celles-ci.

IV.4. Le rôle de médiateur facilitateur

Lorsqu’un groupe décide d’échanger ses expériences, la présence d’un médiateur a bien souvent une importance capitale. Habitat et Participation a souvent été appelé à jouer ce rôle de médiateur ou de facilitateur. Il est, semble-t-il, difficile pour un groupe d’effectuer seul ce travail, sans balises, sans méthodes, sans structuration des échanges.

Ci-dessous un petit tableau de quelques questions à se poser lorsque l’on veut faire appel à une personne extérieure :

UN CAHIER DES CHARGES DU MEDIATEUR FACILITATEUR

  • Devra-t-il être un spécialiste de l’information qu’il gère ?
  • Devra-t-il concentrer son travail sur l’offre d’information, sur la demande d’information ou sur les deux ?
  • Devra-t-il aussi agir sur l’aspect relationnel qui unit les personnes qui veulent échanger ?
  • Le médiateur sera-t-il un animateur-facilitateur d’information ou sera-t-il aussi un gestionnaire centralisateur d’informations ?
  • Un médiateur « centralisateur » ne va-t-il pas acquérir un pouvoir qu’on ne souhaite pas lui voir prendre ?
  • Quels sont tous les rôles que l’on veut voir jouer par ce médiateur (informer – conseiller – mobiliser – capitaliser – rédiger – former à l’échange – animer – divulguer – transmettre – vulgariser – etc.) ?
  • Comment se construit une chaîne de médiation ? Est-ce au médiateur à la mettre en place ?
  • Etc.

IV.5. Le suivi à effectuer

Le plus frustrant, pour un acteur de l’échange d’expériences, c’est lorsque cet échange se solde par rien de plus que le temps d’échanges. Bien sûr, chacun a le droit, lors d’un moment d’échange, de ne rien en retirer.

Mais cela ne peut être récurrent. Quelques idées de pistes de suivi après des échanges :

  • Réaliser un compte rendu qui se structure de manière originale (par exemple davantage sous forme d’outil que sous forme d’un PV traditionnel).
  • Réaliser les documents nécessaires pour visualiser la progression de l’objectif collectif défini (par exemple pour ce qui est de la réalisation collective d’indicateurs d’évaluation).
  • Réaliser des  » cachiers-outils  » ou des  » fiches-outils  » reprenant les outils et méthodes utilisés de manière à ce que les participants à l’échange puissent se réapproprier ces outils et méthodes pour leurs pratiques.
  • Proposer aux participants de prendre un temps de réflexion pour voir ce que l’échange d’expériences leur a apporté au niveau de leur réflexion et/ou de leur pratique.
  • Tenter d’impulser un fonctionnement en réseau pour davantage échanger au quotidien (installer des habitudes d’échange en dehors des temps dédiés exclusivement à l’échange).
  • Etc.

V. Documentation

Notre bibliothèque est accessible tous les jours sur rendez-vous (téléphone: +32/10/45/.06.04)

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